Par Jean-François CURTIS.
Le 08 septembre 2016, le blog opex360.com annonçait l’émergence d’un troisième groupe armé au Niger, le “Mouvement pour la justice et la réhabilitation du Niger” (MJRN). Cette nouvelle menace pour le Niger constitue le troisième front après AQMI et Boko Haram. La lutte antiterroriste sur le continent demeure une préoccupation de tout temps et témoigne du niveau croissant de la menace, si difficilement prévisible. L’avènement de groupes armés, dans le cadre de cette lutte est un handicap majeur pour les états déjà engagés sur des fronts multiples comme c’est le cas pour le Nigéria, le Cameroun, le Mali et le Niger. La problématique devient alors la suivante: comment les pays africains victimes du terrorisme peuvent-ils surmonter les contraintes diverses impactant leur efficacité?
Les contraintes ou limites à l’action antiterroriste en Afrique, sont à la fois endogènes et exogènes aux états. Nous avons donc identifié plusieurs axes, constituant selon nous, des limites majeures à cette action certes de niveau national mais surtout de niveau régional:
1/ La limite stratégique et conceptuelle: plusieurs états africains engagés dans la lutte antiterroriste, disposent d’une politique de défense ou de sécurité nationale malheureusement inadaptée à la menace terroriste, car non prise en compte de façon conceptuelle et stratégique. En effet, la non formalisation de cette lutte à l’échelon national, à travers l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte anti et contre terroriste laisse le champ libre, à toute forme d’interprétation et d’actions pas nécessairement coordonnées et souffrant souvent d’une insuffisance de cohérence d’ensemble. Sans citer d’exemple précis, il apparaît évident que lutter contre le terrorisme nécessite donc une bonne approche de la problématique, en y intégrant les facteurs locaux qui favorisent l’émergence de toutes formes de radicalisation, conduisant à de l’extrémisme violent ou au terrorisme. L’absence de stratégie nationale, est donc un frein majeur à une action efficace contre les groupes terroristes, car ne posant pas clairement les enjeux et les réponses adaptées à la menace. Une stratégie est une feuille de route incontournable à toutes actions. Il s’agit d’un préalable inscrivant la menace dans une dimension nationale et une réalité contextuelle africaine avec ses forces et faiblesses. L’approche conceptuelle devient ainsi, la feuille de route à suivre pour atteindre le résultat escompté.
2/ La limite de la programmation militaire et sécuritaire: L’inscription de l’effort militaire dans le temps permet une rationalisation des investissements et une cohérence de la dépense sécuritaire notamment en équipements, infrastructures et armement. Les lois de programmation militaires et sécuritaire des pays africains lorsqu’elles existent, n’intègrent pas nécessairement les dépenses liées à la lutte antiterroriste et cela souvent du fait d’une menace nouvelle et évolutive parfois incomprise et sous-estimée. A l’instar du Mali et de la Côte d’Ivoire qui ont voté des lois de programmation militaires (Mali en 2015 et Côte d’Ivoire en 2016), d’autres pays gagneraient à rationaliser leurs dépenses spécifiques à cette menace terroriste bien que cette dernière relève du registre de l’imprévisible. Pourquoi ne pas envisager une loi spécifique à la lutte antiterroriste avec un chapitre dédié à une programmation financière spéciale? La Côte d’Ivoire dispose déjà d’une loi portant répression du terrorisme mais elle n’a pas un volet financier spécifique.
3/ La limite de la réponse régionale et concertée: Les pays africains membres d’organisation régionales comme la CEDEAO,sont engagés dans un effort régional ou sous-régional de lutte antiterroriste à l’instar du G5 Sahel. Ces initiatives régionales et inclusives souffrent souvent d’une mise en oeuvre effective des feuilles de route adoptées de façon consensuelles. La limite de l’engagement des états souvent absorbés par des réalités nationales coûteuses, vient peser lourdement sur l’exécution des directives concertées. La création de plusieurs mécanismes sous-régionaux d’alerte précoce et d’anticipation de menaces et risques sécuritaires, souffre également d’une redondance lourde desdits mécanismes et manque souvent d’une clarté d’exécution. Enfin, les insuffisances budgétaires et le non-règlement des contributions des états viennent freiner l’élan régional pour une réponse intégrée et efficace.
4/ La limite capacitaire: La lutte antiterroriste est certes coûteuse financièrement mais elle l’est davantage d’un point de vue capacitaire des forces de sécurité. En effet, la spécificité de la menace exige la mise en place de mécanismes nationaux spécialisés et surtout l’existence d’unités dites spécialisées, formées, entraînées et aguerries en matière de lutte asymétrique. Le déséquilibre entre les états africains disposant d’unités spécialisées (forces spéciales) et ce qui n’en disposant pas, est tel que la vulnérabilité de certains états est d’un niveau critique. Le Kenya, La Côte d’Ivoire, la Tunisie, le Tchad et le Nigéria, pour ne citer que ceux-là, sont des exemples de pays dont les unités spécialisées sont des références car ayant été confrontées au feu donc ayant à leur palmarès des faits d’armes spécifiques à la lutte antiterroriste. Le renforcement des capacités des forces spéciales, devrait être plus que jamais une priorité pour les états africains. Seuls des mécanismes de prévention et des unités spécialisées, peuvent venir à bout d’une telle menace. Enfin, l’ultime faiblesse capacitaire demeure le renseignement militaire à parfaire, car souffrant d’une sclérose en matériels et compétences.
5/ La limite de la communication et de la sensibilisation: Les états africains investissent très peu dans une communication et une sensibilisation offensive contre le terrorisme. Cette insuffisance explique les risques de radicalisation croissants et le vivier de recrutement que constituent des communautés mal-informées exposées. En effet, les états sont nombreux à ne pas sensibiliser leur population sur les risques de radicalisation et souvent sous-estiment ce risque au point de ne pas véritablement en parler. Certains états tel que le Sénégal, sont aujourd’hui des modèles en matière de communication et de sensibilisation sur le sujet. Les actes de prévention et de répression issus de l’engagement du Président Macky Sall ne sont plus à démontrer.
6/ La limite de la non maîtrise des frontières: La porosité des frontières africaines rajoute à leur vulnérabilité dans le cadre de la lutte antiterroriste du fait de la non maîtrise des flux de populations. Les états africains gagneraient donc à renforcer effectivement leurs dispositifs aux frontières, pour limiter la circulation d’armes et de matériaux utilisés dans la confection d’engins explosifs.
Pour conclure, cette examen succinct de l’état des contraintes dans la lutte antiterroriste en Afrique, démontre aisément la nécessité d’une refonte complète tant au niveau de la réponse nationale, que sous-régionale et régionale. Une révision en profondeur des dispositifs et mécanismes actuels est une nécessité, pour renforcer la riposte à la fois préventive que répressive. Nous n’insisterons pas assez sur le préalable que constitue la prévention, en matière de lutte antiterroriste ainsi que l’accent à mettre sur une solide coopération régionale en renseignement.