Présentation de l’ASA en 8 questions-réponses

Lancé par l’African Security Sector Network (ASSN), le think Analyse Sociétale de l’Afrique/African Societal Analysis (ASA) propose une grille de lecture originale de l’Afrique d’aujourd’hui qui se veut innovante à trois égards :

  • d’une part, de par les thèmes mis en relief qui soulignent l’importance de paramètres trop souvent négligés car relevant de la sphère informelle ;
  • d’autre part, de par le format des documents diffusés, qui vise à élaborer des « cartographies institutionnelles », rapides et faciles à consulter ;
  • enfin, de par les experts mobilisés, anthropologues ou sociologues africains.

Pourquoi l’ASA ? Le Diagnostic

L’analyse des crises survenues récemment dans plusieurs pays africains – crise malienne, crise libyenne, attaques sanguinaires au Cameroun, au Niger, au Tchad, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire – tout comme la « revanche des sociétés » dont témoigne par exemple la révolution pacifique survenue au Burkina Faso, démontrent la nécessité de mieux comprendre les contextes socio-culturels dans lesquels sont mises en œuvre les politiques de sécurité et de développement. Ces évènements, dont les répercussions sont souvent ressenties au-delà du seul continent africain, se sont pour la plupart développés en marge ou aux confins de la sphère étatique. La méconnaissance du contexte culturel et sociétal explique en partie l’échec des politiques de sécurité menées en Libye tout comme les difficultés rencontrées dans les négociations menées pour régler le conflit du Nord Mali. La négligence dont ont fait l’objet les phénomènes se produisant en dehors du cadre des Etats, par exemple le rôle majeur joué par certaines organisations caritatives islamiques non-gouvernementales dans un grand nombre de pays africains, explique également la surprise face à l’ampleur de l’islamisme rampant sur le continent.

En effet, l’efficacité des politiques de sécurité tout comme celle des politiques de développement menées sur le continent africain se révèle trop souvent limitée en raison d’une connaissance partielle des environnements dans lesquels elles sont mises en œuvre. Ces politiques se concentrent de manière prioritaire sur les institutions étatiques et les acteurs gouvernementaux et légalement établis, les cadres juridiques légaux et les normes codifiées, alors même qu’elles ont pour ambition d’embrasser la notion de « gouvernance », qui suppose d’élargir au-delà de l’Etat le cercle des acteurs concernés. L’intérêt porté à la « société civile » africaine, concept largement inspiré par les modèles américain et européen articulés autour d’associations, ne compense que faiblement la méconnaissance de l’immense espace non-étatique investi par de nombreux acteurs africains.

Les travaux menés par les experts de l’ASSN ont mis en relief la nécessité d’enrichir l’analyse du nexus sécurité-développement : si la maîtrise de la dimension étatique s’avère indispensable, la complexité de l’Afrique appelle en effet de manière indissociable une connaissance approfondie des réalités sociétales, souvent informelles, dans lesquelles s’enracine la gouvernance de la sécurité et du développement en Afrique. Tout comme la prise en compte de la dimension politique, de la dimension économique et de la dimension sociale est nécessaire à l’élaboration des politiques publiques, il est indispensable de prendre en considération la dimension sociétale, en vue d’élaborer des solutions davantage adaptées aux contextes africains, souvent caractérisés par la coexistence de différents systèmes de régulation ou de gouvernance.

Exemple : Les Etats africains s’appuient formellement sur les forces armées et de sécurité nationales. Pourtant, pour assurer la sécurité, les agents de l’Etat sont souvent conduits à mettre en place parallèlement des stratégies indirectes en forgeant des alliances avec les élites à l’échelle locale, en prenant en compte les normes et les autorités traditionnelles ainsi que la justice coutumière ou encore en passant des accords tacites avec des groupes de sécurité, voire des milices, mis sur pied par des communautés urbaines ou rurales.

Le think tank ASA vise à opérationnaliser la compréhension de cette dimension sociétale – dans ses interactions avec la sphère légale. Une telle approche vise à identifier les freins minant les politiques de sécurité et de développement menées en Afrique ou au contraire à cerner les opportunités permettant d’accroitre leur impact sur le terrain.

Quoi ? Les données analysées

En mettant l’accent sur des paramètres rarement examinés, l’ASA propose une nouvelle approche de la prévention et de la résolution des crises, centrée sur les tendances qui structurent en profondeur les sociétés africaines. L’objectif est d’offrir des clés de compréhension des acteurs non-étatiques, des réseaux non-officiels et des normes non-codifiées, dont l’influence concurrence ou à l’inverse complète le périmètre d’intervention des institutions étatiques ou des cadres légaux.

Les acteurs, les réseaux et les normes sont analysés par l’ASA à travers différentes dimensions, réparties en 6 pôles d’expertise :

  • Pôle 1: Autorités traditionnelles, appartenances communautaires et solidarités/exclusions sociales (chefferies, royaumes ; références orales ; mécanismes de justice traditionnelle ; systèmes de caste ; Solidarités et obligations familiales ; sociétés initiatiques, …) ;
  • Pôle 2 : Religions et réseaux religieux (églises évangéliques, communautés catholiques ; confréries musulmanes ; animisme ; bouddhisme ; progression de l’agnosticisme ; …) ;
  • Pôle 3 : Genre (homosexualité ; sociétés matrilinéaires ; accès des femmes à la propriété ; …);
  • Pôle 4 : Sécurité et Justice informelles (vigilantisme ; groupes d’auto-défense ; sociétés privées ; réseaux de trafics ; …) ;
  • Pôle 5 : mutations sociales et acteurs émergents (influence des mouvements citoyens ; des réseaux des fédérations étudiantes ; des syndicats ; des radios ; des sites d’information web ; des groupes de rap :…);
  • Pôle 6 : Afrique et réseaux internationaux (influence des diasporas indienne, chinoise, libanaises, turques ; …).

Les thèmes mis en relief peuvent parfois sembler n’entretenir aucun lien, direct ou indirect, avec les questions de sécurité et de développement. Pourtant, l’expérience de l’ASSN démontre que la prise en compte des dynamiques qui les sous-tendent se révèle indispensable à une appréhension globale des environnements et à la mise en œuvre de politiques efficaces en Afrique.

Ex 1: Les mesures visant à favoriser la dimension « genre » dans les processus de réforme des systèmes de sécurité devraient davantage prendre en considération l’influence jouée par les société initiatiques secrètes, telles le Poro ou la Sande, exclusivement contrôlées par des femmes mais qui peuvent contribuer, de par les principes qu’elles promeuvent, à saper les fondements du principe de l’égalité hommes-femmes.

Ex 2 : Certaines des politiques de développement mises en œuvre au Mali afin de mettre un terme à la marginalisation des communautés du Nord et du Centre, comme les Touaregs ou les Peulhs, ont parfois insuffisamment mesuré l’importance des hiérarchies sociales existant entre les différents groupes statutaires de ces communautés : les conflits entre ceux se réclamant de la noblesse (Ifoghas chez les Touaregs, Rimbe chez les Peulhs) et ceux appartenant à des groupes considérés comme  inférieurs (Imrads, Bellas chez les Touaregs, Rimaïbe chz les Peulhs) expliquent le très faible impact de certains programmes de développement ou de réconciliation.

Ex 3 : Le rejet par le Parlement malien du Code de la famille, visant notamment à introduire davantage d’équité dans l’accès à la propriété ou à l’héritage, a été l’un des signes avant-coureurs de la crise malienne dès 2011. Cet épisode a mis très tôt en lumière le rôle crucial joué par le Haut Conseil islamique, dominé par l’islam d’obédience hanbalite (proche du wahabisme) au détriment des courants modérés de l’islam malékite.

Pour qui ? Le public

Les analyses de l’ASA s’adressent tout d’abord aux décideurs impliqués dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques de sécurité et de développement sur le continent africain.

Par ailleurs, les analyses de l’ASA peuvent intéresser les médias soucieux de décrypter plus en détail les mécanismes structurels qui sous-tendent l’actualité africaine.

Enfin, l’éclairage apporté par l’ASA peut également offrir des perspectives nouvelles à la communauté des affaires qui, a besoin de mieux comprendre et maîtriser la complexité de l’environnement africain pour y investir et y travailler à long terme.

Comment ? La méthodologie (néo-institutionnalisme, anthropologie et cartographie institutionnelle)

Inspirée du « néo-institutionnalisme », l’approche de l’ASA considère que les processus de décision ne sont pas exclusivement fondés sur des choix rationnels ou inscrits dans le cadre d’institutions formelles: une variété beaucoup plus large d’institutions, le plus souvent informelles, opèrent parallèlement ou à l’intérieur des institutions étatiques et sont en jeu dans les processus de décision et les politiques publiques. L’influence des trajectoires historiques (“path dependencies”) est également mise en relief.

L’approche de l’ASA est ainsi fondée sur l’analyse des acteurs (légalement établis et sans existence légale), des réseaux (structurés et non-structurés) et des normes (codifiées ou non) qui interagissent, de manière concurrente ou complémentaire, dans le cadre d’institutions formelles ou informelles[3].

Afin de mettre en relief les institutions informelles ainsi que les acteurs non-étatiques et les réseaux non-structurés, aussi bien dans leurs trajectoires historiques que dans leurs réalités contemporaines, la méthode de l’ASA consiste à recourir aux méthodes d’analyse de l’anthropologie, en partant du postulat que cette discipline, bien que souvent perçue comme ésotérique, peut pourtant constituer un guide utile pour l’action. Les analyses produites par l’ASA visent en particulier à rendre plus accessibles et plus opérationnelles (policy-oriented) les connaissances accumulées par l’anthropologie, notamment en valorisant la littérature existante, trop longtemps demeurée confinée aux seuls cercles académiques, mais surtout en conduisant des enquêtes de terrain.

L’ASA entend s’appuyer sur une technique de cartographie institutionnelle (institutionnal mapping) , présentée de manière à la fois textuelle et visuelle :

  • La réalisation de « cartographies institutionnelles» a pour objectif de présenter la cohabitation de différentes sources d’autorité et de légitimité ainsi que la répartition du pouvoir et les mécanismes de régulation sociale.
  • Chaque cartographie visuelle (infographie Prezi) est accompagnée d’une cartographie textuelle: ces deux documents complémentaires, mettent en relief de manière simple et schématique, la co-existence ou les interactions des acteurs non-étatiques et étatiques ainsi que des réseaux non-officiels et structurés ou encore des normes légales et non-codifiées.
  • Cette approche à vocation opérationnelle (policy-oriented), offre la possibilité de saisir de manière rapide et accessible les configurations prévalant dans un pays donné ou d’opérer des focus sur des études de cas spécifiques.
  • Les « cartographies institutionnelles », particulièrement dans leur partie textuelle, développent une démarche analytique et non pas purement descriptive, visant à décrypter les évolutions contemporaines et à suggérer des orientations adaptées pour l’avenir.

Exemple 1 : Cartographie institutionnelle des dozos

Pour consulter la présentation animée avec un focus sur chaque diapositive, cliquer sur le lien et une fois sur la page cliquer sur le bouton « Autoplay ».

les-dozos

Quel format ? Les produits de l’ASA

L’ASA entend diffuser ses cartographiques institutionnelles via différents supports :

  • De brèves notes d’analyse, rédigées en français et/ou en anglais et diffusées à un rythme hebdomadaire par emails et via les réseaux sociaux, également consultables sur le site internet de l’ASSN;
  • Des expertises à la carte (études de cas) sur les dynamiques sociétales et culturelles de l’Afrique d’aujourd’hui ;
  • Des formations dispensées à distance (ressources e-learning; télé-briefings via visio-conférence ou via Skype, Webinars) ou modules de formation dispensés in situ à la demande.

Qui ? Les experts

Emanation de l’ASSN, reconnu pour la qualité de ses experts africains organisés en réseau, l’ASA s’appuie sur l’expertise d’anthropologues et de sociologues africains, en contact permanent avec le terrain.

Maîtrisant aussi bien l’architecture institutionnelle, que les us et coutumes et les langues locales de leurs pays respectifs, ces experts sont issus:

  • des Universités;
  • des centres de recherche ; des administrations.

La crédibilité de l’ASA repose sur la connaissance approfondie et détaillée que ses experts ont de l’Afrique. Ces experts sont basés dans le pays examiné ou à proximité.

Quels objectifs ? (Outcomes)

Grâce à la mise en lumière d’indicateurs trop souvent négligés, l’ASA poursuit un triple objectif:

  • enrichir avec de nouveaux paramètres les dispositifs de veille, d’alerte précoce, de prévention et de résolution des crises, y compris en favorisant des processus de médiation prenant davantage en considération les spécificités culturelles et sociétales propres aux environnements locaux ;
  • soutenir la formulation et la mise en œuvre de politiques de sécurité et de développement fondées sur une connaissance plus fine des réalités africaines locales ;
  • mettre les décideurs en relation avec une nouvelle communauté d’experts africains.

A quelles conditions ? Considérations éthiques

La vision du think tank ASA est, celle d’ores et déjà promue par l’ASSN, d’une Afrique gouvernée de manière démocratique et au bénéfice de ses populations, gérée de manière transparente et responsable, dans le souci de promouvoir la sécurité humaine.

Les valeurs auxquelles adhère l’ASA tout comme l’ASSN sont celles d’intégrité, de diversité, de l’inclusivité et d’objectivité.

Il est important de souligner que:

  • Le think tank ASA souscrit et se réfère aux principes éthiques formalisés par l’American Association of Anthropologists : http://ethics.americananthro.org/category/statement/
  • l’approche de l’ASA exclut toute idéalisation de la sphère informelle. Nous ne considérons pas a priori que les institutions traditionnelles, coutumières et informelles fonctionnent mieux pour les citoyens africains que les institutions étatiques. Tout en présentant de manière systématique l’ensemble des acteurs, normes et réseaux influant sur les institutions formelles et informelles d’un Etat donné, les analyse de l’ASA évaluent non seulement leur opérationnalité mais aussi leur pertinence en termes de respect des droits de l’Homme et de satisfaction des besoins de sécurité et de développement des populations africaines ;
  • l’approche de l’ASA ne consiste pas à présenter des institutions, des sociétés et des cultures africaines figées dans leurs spécificités ethnographiques mais plutôt à mettre en relief aussi bien les évolutions en cours que les traditions dans lesquelles celles-ci s’enracinent ;
  • la distinction entre formel et informel peut être difficile à établir en pratique, tant en Afrique les acteurs, les normes et les réseaux de chaque sphère peuvent être imbriqués. L’approche de l’ASA vise à donner une vision schématique mais non pas simpliste de la configuration des sphères formelles et informelles. Des documents de format plus long (synthèses de 5 à 6 pages) viseront précisément à entrer davantage dans le détail de la complexité des environnements sociologiques africains.

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Notes

[1] Niagale Bagayoko, Eboe Hutchful & Robin Luckham (2016) Hybrid security governance in Africa: rethinking the foundations of security, justice and legitimate public authority, Conflict, Security & Development, 16:1, 1-32, DOI. http://www.tandfonline.com/eprint/C3IuMiH2zwb2nBnQF3Pb/full

[2] Particulièrement les travaux menés dans le cadre des programmes de recherche « Multi-level Governance and Security » et « Hybrid Security Governance/Gouvernance hybride de la sécurité », respectivement financés par l’ESRC du Royaume-Uni et par l’IDRC du Canada.

[3] Les institutions formelles et informelles peuvent être distinguées de la manière suivante:

  • Les institutions formelles sont structurées par des règles et des règlements dans le cadre d’organisations légalement, officiellement et publiquement établies (constitutions, lois, droits de propriétés, etc…); les acteurs formels sont les acteurs dont l’existence légale est formellement reconnue.
  • Les institutions informelles sont structurées autour de pratiques, de normes de comportements et de réseaux d’interaction socialement sanctionnées et légitimées (coutumes, traditions, pratiques, habitudes, …) sans faire l’objet de codification ou de légalisation[1]. Les acteurs informels sont ceux dont les pratiques, voire l’existence ne sont pas légalement reconnues.

Une telle distinction recouvre, mais partiellement seulement, la distinction entre Etat et société. Elle est inspirée de la définition proposées par Helmke et Levitsky: “formal institutions are openly codified, in the sense that they are established and communicated through channels that are widely accepted as official (…). Informal institutions are socially shared rules, usually unwritten, that are created, communicated, and enforced outside of officially sanctioned channels” (Helmke, G. and S. Levitsky, 2004. ‘Informal Institutions and Comparative Politics: A Research Agenda’.Perspectives on Politics 2(4), 725–740..).